Elle avait mis ses bottes, jeté son manteau sur ses épaules et sauté à travers la fenêtre. Le visage ternit par le manque de sommeil et les cheveux emmêlés, elle avait commencé par rivé son regard sur les beaux arbres du parc avant de les rejoindre. Un calme plat avait depuis longtemps investi les lieux de même que le silence, vertu première du couvent. C'était pour elle d'un ennui si profond qu'elle n'arrivait plus à se retenir de soupirer. Du matin jusqu'au soir elle poussait de long soupir synonymes de douleur. Qu'aurait-elle donné pour revenir en arrière ? Combien pour retrouver son amant du couvent ? Cette vie était à l'opposé de la sienne mais elle devait admettre qu'elle ne présentait pas que des désavantages. Elle mangeait mieux et elle s'amusait à fausser compagnies aux bonnes sœurs dès qu'elle le pouvait. Son évasion matinale était une preuve de plus en la matière. Il ne lui restait plus qu'à faire quelques pas à faire sur le sol sableux du parc, plus qu'un bras à tendre pour se saisir d'une belle pomme rouge. Le fruit en main elle le caressa doucement de son pouce puis l'amena contre sa bouche. La rosée fraîche déposée sur le fruit se répandit rapidement sur ses lèvres pulpeuses. Entrouvertes, elle finirent par laisser les dents croquer dedans. Un instant de plaisir qui s'évanouit bientôt.

« Qui va là ? » Questionna t-elle, les yeux clos.

Il était rare qu'une autre personne se trouve dans les parages le matin. Encore moins à l'heure de la première prière. Et comme aucune réponse ne lui parvenait elle finit par ouvrir les yeux.

Toutes ces filles. Toutes ces filles qui se préparaient pour la première prière, à une heure si inconcevable pour un lever. Je ne les voyais pas, les yeux clos, profitant du sommeil auquel j'avais droit. Elles s'habillaient chastement, et j'étais obligé de faire de la sorte. Je regrettais tant mes robes et mes jupes courtes, mes décolletés plongeants, mon maquillage outrageant. Dès qu'elles furent parties, je me levais et prenais une de mes anciennes tenues que j'avais caché malicieusement. Une magnifique robe moulante dorée, s'arrêtant juste à la limite de l'indécence. Je revêtais des hauts talons et m'admirais dans le miroir, là où personne ne pouvait me voir. De toute façon, que pouvaient faire ces bonnes sœurs contre ça ? Me renvoyer ? Je ne demandais que ça. Alors, vêtue de cette manière, je m'échappais de l'établissement pour aller dans le parc qui était désert à cette heure là. Je pris toutes les précautions possibles pour ne pas me faire voir, et c'était avec une sensation inconfortable que je marchais sur la terre humide avec mes talons aiguilles. Je me figeais bientôt en apercevant une personne dans le parc, mais reconnaissant Appia, je me dirigeais avec plaisir vers elle. Elle demanda qui allait là, sans même regarder, et j'esquissais un sourire coquin.

« Le monstre de la vulgarité et de l'indécence honey »

Elle me regardait maintenant et je prenais la pomme qu'elle croquait pour mettre mes dents à l'intérieur, avant de mâcher et d'avaler cette gorgée de plaisir. Le fruit du péché, quelle sensation agréable. Je lui rendais la pomme, avec un sourire.

« Alors, quel plan as-tu prévu pour aujourd'hui ? »

Il lui fallu peu de temps pour reconnaître la voix perchée et sirupeuse de Margherita. Elle qui se débrouillait toujours pour la retrouver. C'était peut-être le hasard mais elle avait arrêté d'y croire. Elle et la jeune femme se rencontraient souvent par hasard pour échafauder des plans machiavéliques -plus ou moins réussis il faut l'avouer- mais toujours follement divertissants. Elle avait esquissé un vague sourire empreint de plaisir puis s'était retournée pour lui faire face. Sa figure irrévérencieuse collait bien mal à son allure de jeune nonne. Non, décidément l'expression consacrée était fausse : l'habit ne fait pas nécessairement le moine.

« Tu es l'Ève satanique en personne. C'est encore plus joli. » Dit-elle du bout des lèvres, sur un ton timide.

Son amie venait allégrement de planter ses dents dans le fruit rouge. Le geste était si plein de sensualité qu'il l'avait surprise mais très vite elle reprit son assurance habituelle et se mit à marcher doucement.

« C'est à toi de me le dire. Il est trop tôt encore, je n'ai pas eu le temps de réfléchir. »

C'était un mensonge car elle était éveillée depuis longtemps et son visage gardait les marques d'une nuit sans sommeil. Mais cela Margherita n'était pas obligée de le savoir. De même, elle ne lui avait jamais fait de confidence et ne comptait pas lui en faire de sitôt. En revanche il était vrai qu'elle n'avait encore réfléchi à rien concernant la journée à venir. Il lui semblait avoir déjà tout tenté, tout fait. Restait-il seulement une loi à transgresser ? Quelque chose de dangereux à risquer ? Cette question imposa dans son esprit une image : celle de deux deux jeunes femmes assises au bord du néant, le regard embrumé.

« Tu ne saurais pas, par hasard, s'il est possible de se procurer quelques seringues ici ? »

Elle ne doutait pas de se faire comprendre.

Nous ne nous connaissions pas vraiment. En fait, on aurait même pu dire pas du tout. Nous ne parlions pas de nos problèmes, de nos peines de coeur ou de quoi que ce soit, on mettait juste en oeuvre des plans machiavéliques pour embêter tout le monde. Car c'était ce que je savais faire de mieux, être une peste, une insolente, aller à l'encontre des règles et ainsi me sentir vivante. Alors qu'elle m'appelait Eve satanique, un petit sourire coquin en coin se figea sur de mes lèvres et je rigolais de façon cristalline. Encore plus joli ? Sûrement. De toute façon, quand on rencontre quelqu'un de notre espèce, on se comprend facilement. Elle avait des similarités avec ma personne, Sûrement pas un égo sur dimensionné ou un orgueil démesuré, mais elle me ressemblait quand même.

« Comme tu le dis chérie »

J'avais la merveilleuse habitude de nommer les gens avec un petit surnom affectueux, que ça les gêne ou non. Ce n'était pas en vue de séduction non .. Mais si ça avait été le cas, je l'aurais Sûrement fait également. Fille ou homme, quelle était la différence sinon quelques difformités physiques ? J'aimais embrasser les deux sexes et me délectais d'aller à l'encontre de tous les principes qui nous étaient appris ici.

« C'est qu'elle veut que Margherita réfléchisse pardieu ! »

J'éclatais de rire, jouant la fille qui n'avait aucun neurones alors que la vérité était toute autre. Au contraire, j'étais intelligente et mon QI était largement suffisant pour me mettre dans les catégories des surdoués. Je n'avais pourtant jamais exploité mon potentiel et donc trois malheureux chiffres qui formaient un nombre ne m'étaient d'aucune utilité. Elle me demanda enfin si je ne savais pas où il y avait des seringues par ici mais malheureusement je n'avais pas accès à toutes les sphères, et je n'en savais pas plus qu'elle.

« Envie d'un bad trip sugar ? Je ne touche pas à ça, il paraît que si tu uses trop tes seins tombent. Ma merveilleuse poitrine restera là où elle est ! »

Je rigolais de ma propre bêtise, et m'appuyais contre l'arbre qui avait donné le fruit dans lequel j'avais croqué.

« Tu n'as jamais pensé à être nonne ? SI tu ne veux pas te faire aspirer dans ce tourbillon de foi de religion et de n'importe quoi, il faut que tu t'amuses un peu. »

Je touchais à son habit pour dégager un peu sa poitrine, de façon à la rendre plus sexy, et me jetais sur elle telle une bourrasque de vent pour la faire tomber sur l'herbe humide.

Célia se devait de marquer des points en s'attaquant au niveau de débauche dont j'étais capable. Sur ce point là, mon orgueil était tellement gigantesque qu'il m'était impossible de dire non à quelque chose qui me détruirait, ou qui détruirait les autres autour de moi. La drogue, je connaissais bien. Disons que pour une fois, j'avais joué la poule mouillée par peur .. Et pourtant, dans mon soutien gorge, des petits sachets remplis de poudre blanche s'ennuyaient légèrement de ne pas prendre le grand air. Elle sourit quand elle lui dit qu'elle était plate, ce qui était bien vrai, comme une planche à repasser !

« C'est vrai que tu n'as rien à craindre » Je marquais une pause et plongeais ma main dans mon soutien gorge, pour en ressortir un petit sachet. « Et je ne veux jamais te décevoir honey mais c'est tout ce que j'ai, serais-tu prête à t'en contenter ? » Au pire, j'avais toujours quelques médicaments qui pourraient nous rendre complètement high. « I wanna do bad things with you »

Je me demandais comment elles faisaient. Ces nonnes, ayant fait le voeu de chasteté, se promenant partout dans l'endroit où nous étions et nous adressant de sages sourires. N'y avait-il pas une femme en feu, broyant le désir sexuel qui montait en elle lorsqu'elle voyait un joli garçon ? Jouaient-elles un double jeu ? Cela était vrai pour certaines, je les avais vu. Mais ces folles qui voulaient rester vierge avant le mariage, ou toute leur vie, je ne les comprenais pas. Elles ne connaissaient pas le plaisir charnel, et ratais de ce coup les plus belles (et mauvaises il faut l'avouer) expériences de leur vie. J'adorais m'envoyer en l'air, ça, tout le monde était au courant. La position dans laquelle nous étions maintenant était assez ambiguë, mais ce que j'aimais ça !

« Darling, je ne manque jamais de rien, mais je veux toujours plus »

Je riais doucement, tandis que j'observais Appia et ses cheveux rebelles. Ils étaient beaux. Moins que les miens bien sûr mais tout de même.

« Tu veux t'échapper avec moi ? Je dois dire que je deviens assez .. » Je pris Célia par les épaules pour la faire basculer sur le côté, restant moi même allongée. « Excitée vu la tournure des évènements. If you're in, I'm in honey ! »

Longue descente en enfer, ou longue montée au paradis, quels fantastiques délires sortis tout droit de mon imagination s'étaient imposés à mes chers yeux grâce à ces petits rails de poudre blanche. A ne pas confondre avec le sel de cuisine. Ou la farine. Je devais avouer que j'en voulais, tout de suite maintenant, mais que je me laissais emporter par les gestes et les paroles de ma compagnonne qui, en toute honnêteté, siégerait très bien sous mes couvertures. Je ne forçais personne, j'avouais juste ce qui était dans mes pensées et à ce que je sache, ce n'était pas un crime.

« Heureusement que je suis là pour toi honey, on doit tout t'apprendre ! » Je la regardais caresser le plastique qui entourait la poudre et rigolais presque diaboliquement. « Tu ne t'ennuieras jamais avec moi. Et n'hésites pas à partager tes expériences, plus j'en sais mieux c'est .. »

Nous étions arrivées en courant dans une petite cabane en bois. Il était vrai que je n'avais pas prévu de tenue de change, par contre, je portais une petite culotte pour une fois, alors pourquoi pas ..

« Tu choisis, en robe ou en sous vêtements, je n'ai pas d'autre proposition sous la main. »

Je lui adressais un sourire aguicheur car c'était ce que je faisais avec la majorité du monde, et je dézippais ma robe provocante pour me retrouver en sous vêtements de dentelle noire.

« Trop habillé pour les nonnes je parie ! »

Je me baladais dans la pièce, adorant le contact rugueux du sol en bois contre mes plantes de pieds, puis farfouillais un peu dans les coins. Vu que ce n'était la première fois que l'on faisait cela, il devait forcément y avoir .. bingo. Je revêtais un t-shirt noir et un blue jean.

« Voilà une tenue plus décente. On va s'amuser chez les nonnes ? »

« Tu es une vraie petite dévergondée ! »

Elle avait l'air faussement surpris et ses yeux, doucement baissés, préféraient lancer des éclairs sur ses pieds nus. Le doux froufrou des vêtements qui glissaient contre sa peau faisait frémir d'envie son corps. Certes, Margherita était une jeune femme désirable et sexy à souhait, mais Appia pensait prendre plus de plaisir à l'observer ainsi, dans ses déhanchés sucrés, que si elle ne l'avait touché. Elle avait pourtant finit par lui tourner le dos, le corps tout entier dévoué à la recherche d'un objet quelconque.

« Voilà une tenue plus décente. On va s'amuser chez les nonnes ? »

L'énergie afflua à nouveau dans ses veines et dans un volte face rapide elle répondit par l'affirmative : « Oui ! À toi d'ouvrir la chasse. »

Un pied devant l'autre et elle était déjà devant la porte.
« Je trouve le terrain un peu trop grand. La vieille bâtisse ou bien l'extérieur ? Sachant que nous aurons moins de temps, je préfère débaucher quelques délinquants peu avertis... Qu'est-ce que tu en dis ? »

Sans attendre de réponse, la jeune femme tira sur la poignet et sortie. Si par hasard une sœur les apercevait, elles pourraient passer pour des intruses l'espace de quelques instants. C'est pourquoi elle devait traverser rapidement le parc et atteindre la vieille bâtisse avant qu'on ne les repère.

« C'est parti! »