Les 'Ave Maria', très peu pour moi...


'Qui est plus utile, le soleil ou la lune ? La lune, bien entendu, elle brille quand il fait noir, alors que le soleil brille uniquement quand il fait clair.' J'ai lu ça quelque part, je sais plus où, ça me revient plus et toi? Nan plus, aucune idée. J'ai longtemps médité cela. Je pense qu'on peut pas répondre à ça. Vu que si il fait clair le jour c'est bien à cause du Soleil. Et dans ce cas, la Lune est un peu le Soleil de la nuit. Ouais enfin bon, on va pas y passer quatre heures! Moui.

L'astre de la nuit était déjà haut dans le ciel lorsque j'entrai dans l'égise. J'arpentais les allées sombres d'un pas leste. Les rayons de ce Soleil gris filtraient à travers les vitraux et se reflétaient de-ci de-là en tâches colorées. Qu'est-ce qu'on fout là? Tu sais que je déteste cette putain d'église. Cette voix, la deuxième Santi. Toujours présente. En particulier pour faire des remarques désolbligeantes. Mais ce soir, c'est moi qui tenais les rennes. Je souris. « Tu verras bien. Ya un truc que j'ai très envie de faire depuis longtemps. » murmurai-je. Je contournais les bancs, lentement. Je me rappochais de l'autel. Je le voyais, là-bas, baigné dans une lumière que la mère supérieure aurait très certainement qualifiée de 'divine'. La nappe blanche, immaculée, trainait à Terre. Quatre cierges brpulaient. Je me demandai soudainement comment faisait Blyne pour les messes. Elle qui à la simple vue d'une flamme s'affole. Je notai qu'il faudrait que je lui demande. J'arrivai enfin devant les six marches. Je les montai une à une, sautillant. Arrivée à destination je me retournai et, faisant face à ce grand vide je criai. Pas trop fort cependant pour ne réveiller personne. Nous étions ravies. Elle et moi, les deux Santi. Je me déchaussai puis, d'un même effort, nous sautâmes sur l'autel. Debout sur cette table de pierre, j'étendis mes bras en croix. Je penchai la tête en arrière et inspirai. Petit moment de liberté dans cet enfer d'autorité et de restrictions. « Was it so long ago, when we first hit the road... I remember, those earliest sho-ows, when we used to go paparatata... » J'entamais 'Sweet by and by' de Pete Doherty, mon idole. Chanter les paroles de cet homme, réputé pour ses déboires avec la drogue, dans une église m'apparaissait comme une véritable délivrance. Cela ne durerait qu'une nuit mais c'était déjà ça. Je repensai à mes parents, nos parents. Ils ont toujours eu peur de moi au fond. Ils pensent que je suis possédée. Sauf que je sais très bien que je ne le suis pas. Je suis malade, je suis schizophrène. J'aimerais tant qu'ils le comprennent. Et en même temps j'ai peur. Parce que si ils apprennent que cela vient entièrement de moi, ils me rejetteront. Ils verraient en moi un démon. Et ce serait encore pire... Je secouai la tête pour chasser ses pensées et continuai de chanter. En fait c'est une bonne idée que t'as eu là...

J’ai constamment été confronté à des choix. Comme la plupart des êtres vivants, je ne suis pas certains d’avoir toujours fait les bons. Et je n’ai qu’une crainte ; celle de vivre avec des regrets. Heureusement, peser le pour et le contre n’a pour moi rien d’une contrainte, puisque je le fais continuellement. Je ne dis pas que je m’amuse à faire des tas de listes censées me faciliter l’existence, mais je parcellise mentalement les éléments qui construisent mon quotidien, et je me sens mieux quand tout est clair.
Ces dernières années, rester rationnel et stoïque a constitué un dépassement pour moi, et j’ai nécessairement pensé me réfugier soit dans la nourriture, soit dans la folie. Ces deux choses n’étant pas foncièrement recommandée, j’ai fini par être heureux d’avoir une place au couvent. Comprendre qu’on voulait m’aider et non me faire souffrir n’a pas été difficile, mais l’état de choc a peut-être aidé, un petit peu du moins.
Je ne me donnais jamais en spectacle, et si certains appréciaient de faire leurs prières en groupe, je ne faisais pas partie de cette catégorie. J’aimais mieux m’isoler, seul dans une rangée, immobile et silencieux, m’imaginant qu’on m’oubliait en ayant la sensation que la vraie vie me passait sous le nez.
Il était tard alors que je me dirigeais vers la nef, toujours ouverte à ses fidèles, ou tout au plus à ceux qui avaient besoin de se recueillir. Plus j’avançais vers les portes entrouvertes, plus j’avais l’impression d’entendre un bruit. Celui-ci n’avait rien de quelque chose de sourd, comme l’aurait émit un objet quelconque, mais avait plus la sonorité d’une voix. Arrivé à la première lignée de bancs, je l’identifiais comme un chant.
J’offrais un regard vide et bref au confessionnal, à ma gauche, et reportais mon attention vers la personne qui faisait vibrer ses cordes vocales impunément, distinguant à présent la silhouette gracile d’une fille, debout sur la table en pierre qu’utilisait le prêtre à chaque messe. Je n’étais pas non plus Père Hélios, mais il me semblait que ce comportement n’avait rien de saint. En réalité je n’étais plus sûr de rien. Je m’arrêtais une fois juste devant l’autel, les yeux levés vers elle. J’avais oublié son prénom, mais je l’avais déjà vue, si ce n’était côtoyé, car elle éveillait des souvenirs en moi.
Ne sachant pas très bien comment m’y prendre pour faire cesser ses activités clandestines, je levais les bras et les secouais de gauche à droite en criant : « hého ! », espérant me faire entendre à travers son vacarme assourdissant. Se permettre ce geste avait surement pour elle un avant goût de liberté qu’elle n’avait vraisemblablement pas l’intention de laisser filer. Je décidais d’ouvrir une nouvelle fois les hostilités.
« Uhm, mademoiselle ? Madame ? Toi là-haut ? Psssssst ! »

Cela faisait bien quinze minutes de je chantais. Entraînée dans mon élan j'étais passée de Pete Doherty à The Doors et j'entonais à présent 'hello, I love you', gaiement. « hého ! » J'eus l'impression d'avoir entendu quelqu'un parler. Je n'y prétai cependant pas attention, pensant que ce devait être dans ma tête qu'on me jouait des tours, et pourtant, non. Les yeux fermés, la tete toujours rivée vers le plafond, j'étais bien. Nous étions bien. Cela faisait longtemps que nous n'avions pas été sur la même longueur d'onde elle et moi; moi et moi. Mon entrée au couvent, bien que censée me débarasser de mon problème, avait au contraire creusé un fossé entre moi et mon autre personalité. Nous n'étions pas très différentes mais un rien suffisait à nous déchirer. Ces derniers temps, la deuxième Santi prenait de plus en plus souvent le dessus sur notre corps et j'étais obligée de rester là, spectatrice de ces actes que je ne cautionnais pas toujours, sans pouvoir rien faire. C'est que je deviens forte moi! Comme par exemble avec Margherita. J'aime beaucoup cette fille mais avec elle j'ai tendance à boire et dans ces moments, il est beaucoup plus facile pour l'autre Santi de prendre le dessus. Et elle s'est mis en tête de faire de Margherita une sorte d'amante. J'aimerai dire que cela ne me regarde pas, que ce n'est pas ma vie; dans un sens c'est vrai. Mais c'est tout de même mon corps, mon nom... « Uhm, mademoiselle ? Madame ? Toi là-haut ? Psssssst ! » Cette fois j'étais sûre d'avoir entendu quelque chose et cela me tira de mes rêveries. Je rouvris les yeux et relevai la tête. Debout devant l'autel, agitant ses bras dans tous les sens, un homme. Et pas n'importe quel homme, Hélios. Ravie et térrifiée à la fois, la moue qui s'affichait sur mon visage dû le surprendre. Je ne savais que trop bien ce que la présence d'Hélios impliquait... Hélios!

Tout sourire, je me jetai à terre et courus dans les bras d'Hélios. Enfin libérée, enfin libre de mes mouvements. Santi était retournée dans ce petit coin de notre tête dans lequel je restais constemment enfermée. Mais à présent c'est moi qui tenait le volant. J'embrassai Hélios sur les deux joues. Toujours ravie de le voir car quand je le vois, je sors. Dieu seul sait pourquoi. Je desserai mon étreinte et le fixai. Il semblait perplexe. M'aurait-il oubliée? Je refusais de croire cela. « Ben alors, tu me remets pas? Santi. » J'espérait sincèrement qu'il allait se souvenir de moi. Nous n'avions certes pas passé énormément de temps ensemble mais le peu de moments que nous avions partagés avaient été vraiment très sympas et je ne les oublierait pour rien au monde. Si il ne s'en souvenait plus, on devrait tout recommencer... gna gna gna

Elle n’a pas eu l’air d’avoir peur, ni même honte d’être surprise en plein spectacle. Lorsque ses yeux se posèrent sur moi, ses prunelles ne reflétaient pas grand-chose si ce n’était une infime once de surprise. Je baissais enfin les bras et vit s’étendre un sourire franc sur les lèvres de la jeune femme. Je ne m’étais pas trompé, ma mémoire me jouait bel et bien des tours. Je me mis à réfléchir à toute vitesse, cherchant à mettre un nom sur ce visage pourtant familier. Ses cheveux bruns, étendus dans son dos et sur ses épaules, sa peau aux reflets cireux et ses vêtements clinquants. Je distinguais tout cela de mieux en mieux à mesure qu’elle s’avançait vers moi, le pas vif et les intentions déterminées, si bien qu’alors qu’elle me sautait dans les bras, je l’accueillais sans mot dire en refermant ses derniers à hauteur de ses reins. Lorsqu’elle me fit la bise, je sentis son parfum, quelque chose d’entêtant et de voilé. Tandis qu’elle prononçait son nom, surement en réponse à mon air interloqué, je crus percevoir un déclic dans mon esprit. Santi, bien sûr. Nous n’avions pas réellement fait connaissance à proprement parlé, et je savais très peu de choses sur elle, mais le courant était plutôt bien passé entre nous deux. Nous n’avions fait que discuter pêle-mêle des détails du quotidien et du sens de la vie, de bovins et de la basilique Saint-Pierre à Rome, mais ça avait été suffisant pour qu’on décide d’entretenir une relation tacite faite de respect et d’entente.

« Si, si, bien sûr que je me souviens. » Affirmais-je, l’air froissé.
« C’est juste que c’est derniers temps ma mémoire à long terme fait des siennes… » Invoquais-je finalement.

J’osais un faible sourire, puis me détachais d’elle. Que faire ? Je m’étais rendu ici pour faire mes prières. Je croyais qu’elles étaient existantes dans le seul but d’apporter des réponses. Mais à présent je ne me voyais plus dire au revoir à la jeune femme dans le seul but de me murer dans mon silence une fois de plus. Je m’éclaircissais discrètement la voix, et choisit d’entamer la conversation.

« Alors tu… tu… » Commençais-je, avec au plus profond de mon cerveau l’impression de me trouver au milieu du rêve de quelqu’un d’autre. Cette situation était surréaliste.
« Tu faisais quoi, exactement ? »

Je le fixais. Peu à peu, il semblait se souvenir. Je savais qu'il ne pouvait pas m'avoir oubliée. On avait quand même passé une heure et demi ensemble, à parlementer sur les conditions des vaches chez tel ou tel éleveur. Je souris à cette idée. « Si, si, bien sûr que je me souviens. » Ha bah voilà! « C’est juste que c’est derniers temps ma mémoire à long terme fait des siennes… » Il avait rajouté cela très vite, pour se justifier sans doute. Une mémoire à long terme défaillante? Le mot qui me venait à l'esprit était 'pourquoi'. Que lui était-il arrivé pour qu'il ai ce problème? Il sourit, faiblement. Il prit mes bras, les força à se détacher de lui et s'écarta. Il semblait gêné. Peut-être ma présence lui était-elle gênante. Il est vrai que depuis que je l'avais aperçu je m'étais focaliser sur moi mais je ne m'étais posée aucune question sur la raison de sa présence ici, à une heure aussi tardive. Je commencai à m'interroger. Sûrement était-il venu ici pour prier tanquillement, loin de toute l'agitation des messes. Si c'était le cas, il est clair que je venais de ruiner ses plans... Bien joué. Je pouvais toujours m'en aller si cela pouvait l'arranger. J'esquissai un mouvement de départ, guettant une réaction quelconque. Je l'entendis se racler la gorge légèrement. « Alors tu… tu… » Bon, finalement j'allais rester puisqu'il semblait prêt à converser. Il ne savait visiblement pas quoi dire et il restait dans ses expressions et ses gestes un certain embarras. Je lui adressai un sourire d'encouragement. « Tu faisais quoi, exactement ? » Sa question me ravit. Mes lèvres s'étirèrent en un grand sourire satisfait. J'avais cependant conscience que ma réponse, sans doute, allait me faire passer pour une folle. Enfin de toute façon j'étais déjà considérée comme folle par presque tout le monde ici. « J'étais persuadée que cette église aurait été parfaite pour faire un concert. Je voulais vérifier si j'avais raison et si l'acoustique était vraiment bonne. C'est vrai quoi, pendant les prières il règne un silence de mort et les messes sont déprimantes, aucun chants. D'habitude il y a des chants pendant les messes. Enfin bref je m'égare... » J'avais... beaucoup parlé. J'espérais qu'il n'allait pas prendre peur. Certaines personnes disent que je suis bavarde. Ils doivent avoir raison. C'est vrai que je ne me rend pas bien compte. Un jour, j'ai demandé à ma mère quel avait été mon premier mot. Elle n'a jamais su me répondre. Elle m'a dit que je parlais tellement à l'époque qu'elle n'arrivait absolument plus à s'en souvenir. C'était si flagrant que ça?