Il semble qu'on m'ait conforté dans de mauvais choix. Il semble même que j'ai été trop individualiste. A un moment, j'ai cessé de croire en une existence divine, et ce pour des tas de raisons. Toutes plus compliquées à surmonter les unes que les autres, et je n'avais plus la moindre envie de me dire qu'une destinée m'était promise, par qui que ce soit. La disparition de mon frère, la mort de ma fille. Mes pensées, ma descente aux enfers. Il est temps de faire les choses bien.

★ ATTENTION ★

J’attrapais mollement un crayon de papier qui était sur le point de basculer vers le sol. Assis devant mon bureau, je contemplais le tas de lettres inutiles et surtout inachevées qui trônait dans le coin droit. Soucieux, je faisais tournoyer le long cylindre entre mes doigts fins et légers comme des toiles d’araignées. Je m’emparais d’une nouvelle feuille, l’époussetais d’un geste superflu et commençais à la noircir de mon écriture oblique.

Petit frère,

Griffonnais-je juste avant de me trouver bien stupide. Je ne l’avais jamais surnommé de la sorte, pour la simple et bonne raison que nous ne nous étions jamais considérés comme des frères. Du moins n’avais-je jamais ressenti aucun attachement envers sa personne, jusqu’à ce qu’il disparaisse. Je frappais de manière répétée la pointe de la mine sur la blancheur de mon support. Je ne savais pas quoi dire d’autre. Des années s’étaient écoulées, et quoi qu’il en soit, je n’avais pas même une adresse où lui faire parvenir mes écrits.

Te laisser partir a été l’une de mes plus grandes erreurs.

Je voulus ajouter que je m’en voulais terriblement, mais quelque chose m’en empêchait. Je ne savais pas encore quoi, mais je savais néanmoins qu’il fallait que j’en vienne à bout.

Je ne sais pas ce que tu deviens, je ne sais même pas si tu es encore en vie. Si tu te souviens de moi, si on se ressemble toujours.

Je laissais s’échapper un soupir de lassitude. A quoi bon ? Je passais ma vie à me nourrir de souvenirs, à croire que le monde avait des dettes envers moi. Je n’avais plus de conversations loyales d’âme à âme avec personne, et en quelque sorte, je me complaisais dans ma confusion. Je posais brièvement les yeux sur une vieille couverture constellée de petites pommes rouges sang que notre mère posait sur nous alors que nous nous endormions, enfants. Les regrets me rongeaient, mais j’appartenais au monde, et je ne pouvais rien y faire.

J’espère que tu vas bien. Je sais que tu n’es pas indestructible, même si j’ai maintes et maintes fois essayé de croire que tu l’étais, juste histoire de me rassurer.

Et aussi histoire de faire perdre du poids à ma culpabilité. Alors je ne savais pas encore qu’en nous vivaient deux étranges personnages ; un juge et une balance.

J’aimerai croire qu’on ne s’est jamais réellement détesté, et que les choses sont réparables. En étant opposés, nous nous définissions. C’est ce que font les frères, non ? Mais maintenant, qui suis-je ?

La réponse à cette question était floue. J’étais ce petit garçon qui jouait seul dans le sable avec sa pelle et son râteau, j’étais cet adolescent perdu, j’étais ce jeune adulte confiant, j’étais cette grande personne détruite. J’avais envie qu’on me serre dans ses bras, qu’on me console et qu’on me complimente, mais j’avais du mal à me l’avouer, simplement.

Les gens s’attendent à ce que je verse des larmes sur ce que j’ai loupé, c’est tout ce qui les intéresse. Mais j’ai seulement pleuré sur ma culpabilité de ne pas t’avoir aimé assez, de ne pas avoir fait juste un peu plus d’efforts.

En réalité je m’étais longtemps méprisé tout en sachant que les choses ne pourraient plus jamais être les mêmes.

Ce que je te dis te semblera être un cliché, celui du coupable qui se repenti. Mais là c’est la vraie vie, et ça prend tout son sens.