« NOTRE PERE QUI EST AUX CIEUX »



Il y a des choses qu’on aimerait qu’elles ne soient jamais arrivées. Ou alors on aimerait les ranger au fin fond de notre mémoire, dans l’endroit le plus éloigné de notre cerveau, là où les souvenirs n’ont même plus de place, pour finalement tout t’oublier. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. Rien. Le vide total. Le trou noir. L’oubli total. Le néant absolu.
Si seulement c’était possible. Ca m’aurait bien arrangé. Ca m’aurait évité bien des peines et tourments. J’aurais fait ma vie. Comme n’importe quelle autre. Essayant de survivre dans ce monde, avec le souvenir d’un passé difficile en moins.

Mais malheureusement ce n’est pas le cas.

Je me rappelle. Je me rappelle du moindre détail. De tout le souvenir déchirant qui ont fait de ma vie une véritable catastrophe. Un enchainement d’évènement tragique. Ou alors était-ce vraiment de la malchance ? A vrai dire j’en sais trop rien. J’appellerais plutôt cela la fatalité.

15 avril 1987. Venise. Hôpital miteux. Grosse infirmière. Mère qui crie. Pousse. Suffoque. Souffre. Médecin qui fouille dans son entre jambe. Père au bord de l’évanouissement. Tout cela n’avait vraiment rien de romantique. Et ni même d’heureux pour celle qui venait de me mettre au monde. Elle avait tellement mal quand je pointai le bout de mon nez, qu’elle s’était littéralement juré sur le coup de ne plus avoir d’enfant. Heureusement pour mes sœurs que l’être humain ne respecte en général que très peu ses promesses.

Quelque cris et poussées plus tard, me voilà enfin là. Malgré l’atrocité des heures précédente, Maria, ma très chère mère, fut finalement remplie d’une certaine joie à la vue de ma jolie petite bouille. Mon père, Antonio est heureux lui aussi. Bien qu’il soit à deux doigts de me gerber dessus. C’est moi, où les hommes ont toujours eu du mal avec les accouchements ? Ah oui c’est bien connu, ce sont des petites natures en fait !

Antonio et Maria étaient parés à vivre une vie heureuse. Ça aurait put être le cas. S’ils n’avaient pas été aussi pauvres. S’ils ne vivaient pas dans cet espèce de taudis flottant sur l’eau, qui pourrait presque qualifier de bateau s’il n’avait pas en si piètre état. Mais que voulez-vous, le mobilier est trop cher de nos jours ! L’Etat ne sert à rien ! Le chômage est partout ! La pauvreté aussi ! Et mes parents habitent quasiment à la rue, incapable de se payer un endroit décent pour vivre. Pourtant ils s’aimaient. Malgré tout leur déboire financier. C’était presque beau à voir.

C’est ainsi que mes premières années se passèrent sur un espèce de bateau. Dans mon cas, mieux ne valait pas avoir le mal de mer je peux vous l’assurez. Mes sœurs pointèrent le bout de leur nez quelques années après moi. Mon père bossait jour et nuit et ma mère s’occupait des trois gosses. Pour Antonio et Maria, le bonheur de leurs premières années de mariages disparut assez vite. L’un comme l’autre, était sans doute tellement désillusionné par l’existence minable et le train train quotidien qui s’était emparé d’eux. Heureusement, j’étais trop jeune pour être triste à leur place. Mais croyez moi, si quelqu’un ajoute encore une fois que l’argent ne fait pas le bonheur je l’écorche. Car la pauvreté non plus.

Le bonheur. Au fur et à mesure de l’avancé de ma courte vie, j’avais l’impression qu’il m’échappait. Voir même qu’il n’existait pas. Ou alors peut être ne m’était-il pas réservé ? J’avais à peine 8 ans quand ma pauvre mère s’en alla. J’étais encore bercé par l’insouciance de mon enfance pour comprendre pourquoi du jour au lendemain elle ne fut plus là. Pourtant, le vide qu’elle avait laissé se faisait ressentir. J’étais moi-même à présent, étant l’ainé, obligée de m’occuper de mes sœurs, Laura et Isabella. Alors que mon père, envahit par le chagrin se tuait à la tâche au travail pour nous faire vivre un minimum. A croire que ce n’était pas suffisant, puisqu’on dû vendre le « bateau » pour aller s’installer ailleurs. Enfin ailleurs, c’est un bien grand mot. Je me rappelle avoir passé quelque nuit sous les pont, avant que mon père finisse par trouver un endroit où l’on pouvait s’installer. La pauvreté ça se vit, ça ne s’explique pas. Donc je n’ose pas vous imaginez la misère dans laquelle on se trouvait lorsque mon père perdit son travail. C’était en réalité à cause de ça qu’il avait dû vendre notre bateau.

L’avantage avec le chômage, c’est que ça permet de passer du temps avec votre famille. Chose qu’Antonio n’avait jamais vraiment eut l’occasion de faire. Il en était heureux. Mais persistait à essayer de trouver du travail, avant qu’on se mette tous à crever de faim. Mais ce fut en vain.

Nous nous étions entre temps installés dans une petite cabane, avec une vieille tante à mon père. C’était loin d’être l’idéal. Et loin d’être très spacieux. Mais comme pour nous, la famille c’est sacré, la vieille dame avait accepté de nous recevoir sous son toit. D’autant plus qu’il ne lui restait que très peu de temps à vivre.

La seule solution pour qu’on puisse survivre était de voler. Mon père m’avait apprit à faire quelque tour de passe passe sur la place du marché, afin que je puisse facilement piquer les bijoux, et les billets, ainsi que les portefeuilles dans les poches des gens. J’étais la plus âgée, mais également suffisamment petite et fluette pour que cette tâche me revienne. Même si Laura et Isabella m’accompagnaient de temps en temps. Le vol pour moi était quelque chose de normal. Je ne pensais même pas que ce que je faisais était mal. C’était habituel.

Cette situation dura plusieurs années. Pourtant, on parvenait presque à s’en sortir. La vieille tante nous avait légué la cabane après sa mort, alors on s’y était installé définitivement. Dans son temps libre, mon père nous faisait l’école à moi et mes sœurs. Nous enseignant le minimum de ce qu’on avait à savoir. « Parce que l’école, ce n’était pas pour les gens comme nous » Me disait-il. Évidemment, c’était bien trop cher. Malgré ça, j’avais quelques amis. Bien que la plupart d’entre eux étaient des tsiganes ou des vagabonds. C’était déjà ça. Mon meilleur ami était un vieillard, Marius, agé d’environ 70. Je l’avais rencontré sous le vieux pont de Venise, en train de faire la manche. Je n’avais jamais rencontré un homme aussi bon que lui. Il me racontait souvent des histoires, ses récits, ses voyages passés. C’est grâce à lui que je me trouvai une certaine passion pour les histoires, l’écriture. A sa mort, il m’offrit une espèce de petit carnet vide –un journal intime, où je put commencer à décrire toute mes journées. Je lui en fus toujours très reconnaissante, car grâce à lui, j’avais enfin trouvé quelque chose que j’aimais faire. Grâce à lui, je pus découvrir une certaine passion à enchainer les mots, et les phrases, en inventant des histoires sorties tout droit de mon imagination, afin de m’éloigner de ce monde bien trop fade à mon gout.

Juillet 99 fut une période assez amère pour moi. J’avais quinze ans le jour où mon père fut tué dans une manifestation. Le soleil estival et la chaleur n’apaisait pas le chagrin qui s’emparait de moi, qui envahissait la moindre parcelle de mon esprit et de mon cœur. Qu’allait-je faire à présent, alors que toutes les personnes qui veillaient sur moi étaient partie ? Maman, Tante Roberta, Marius, et maintenant Papa ? La vie était tellement injuste ! Dire que je voyais chaque jours planqué sur les parvis de l’Eglise, ces petites filles de riche, pleurer parce que leur parents ne cédaient pas à leur caprice ! Savaient-elle vraiment pourquoi elles pleuraient ces pétasses ? Car moi –sans paraitre celle qui s’apitoie sur son sors- j’avais de bonne raison pour pleurer chaque soirs, nuit, matin, et journées. Les larmes ne cessaient de couler. Je voulais être seules. Ne plus voir personne. Ne plus m’attacher à quelqu’un, pour ne plus avoir peur que ce dernier meurt un jour. La tâche me fut facilité lorsqu’on me sépara de mes petites sœurs qui furent envoyé à l’orphelinat. J’espérais alors être seule. Tranquille. Me couper entièrement du monde, jusqu’à ma dernière heures. Enfin sauf pour voler quelques trucs afin que je puisse tout de même satisfaire mes besoins primaires. Hormis ça, je ne voulais plus rien. L’espoir d’une vie meilleure, je l’avais perdue. Hanté par le souvenir du corps de mon père traversé par un coup de couteaux pour finir inerte. Pourquoi avait-il fallut que je le suive ce jour là ? Pourquoi ce n’était pas moi qu’on avait tuée ? Pourquoi c’était lui ?

Chaque nuit j’y songeais. Chaque nuit je faisais des cauchemars. Chaque nuit je me tordais de douleurs et de chagrin, par toute la souffrance morale qui s’emparait de moi. La seule moyenne d’échapper à tout ça était d’écrire, encore et encore. Rêver était ma seule source de joie. Avec le temps, j’avais apprit à me contenter de cela.

J’aurais put passer le reste de mon existence à vivre au fin fond de mon trou, seule et sans personne. Pourtant ce fut impossible. Je fus rapidement envoyée à mon tour à un orphelinat pour adolescent. Moi qui voulais à présent mener ma vie comme je l’entendais, en fut très mécontente et en colère. Je ne voulais que personne s’occupe de moi et que les éducatrices ravalent leur pitié et leur gentillesse envers moi et me laisse tranquille. C’était peut être trop demandé ? Je ne sais pas si c’était l’adolescence, la tristesse, où les vieilles mégères de l’orphelinat, mais là-bas, je pétai littéralement un câble. Je refusais de manger. D’assister aux cours. De faire comme les autres. D’obéir. Et en plus de ça je volais sans arrêt dans la cuisine, où dans les affaires personnelles des professeurs. A chaque fois qu’on me prenait en flagrant délit, on enlevait quelque chose dans ma chambre. Ça commença avec une chaise, un bureau, une table de nuit, une armoire, puis mon lit. Je finis par me retrouver dans une pièce vide. La seule chose qu’il me restait, c’était mon carnet de note et un stylo. Je le cachais pour que personne ne le découvre. Car c’était la seule chose importante à mes yeux qu’il me restait.

J’étais donc cette jeune fille rebelle, indomptable, rejetant toute forme d’autorité et déjouant les lois. Je commençais même à fuguer en douce. La journée, pour aller voler à manger à la boulangerie du coin. Le soir pour sortir dans la rue. Fumer, boire ou autre. Il fallait bien que je m’occupe. Et surtout que je mette un peu de piment à ma vie. J’essayais de m’amuser un minimum. Les garçons m’occupaient un peu. J’enchainais quelques relations plus ou moins sérieuses, tout en retournant à l’orphelinat en essayant de ne pas me faire roder.

A ma majorité, je n’avais nulle part où aller, et je m’étais finalement habituée à cette bâtisse que je restai finalement là. Continuant de voler un peu partout. Même si c’est pour cette raison que j’étais à chaque fois au bord de l’expulsion. Mais étant majeure, j’avais plus de liberté, et essayai de faire au mieux ce que je voulais. Seulement, le directeur ne semblait pas être du même avis lorsqu’il décida finalement de m’envoyer dans un établissement catholique. Un couvent. Cette nouvelle ne me plaisait pas du tout. Et ce mot me faisait vomir. Pour une fille qui pense que Dieu est un fumeur de havanes, la messe ne m’enjouait pas trop. Voir même pas du tout ! J’étais dépitée de venir ici. Mais malheureusement je n’avais aucun échappatoire car l’orphelinat menaçait de me dénoncer au flics pour tout les vols commis. C’était soit ça ou la prison. J’avais finalement choisit ça. Et voilà comment j’avais finit par atterrir au beau milieu des bonnes sœurs et de tout ces gens aussi pommés que moi.

La vie ici au début, je la trouvais vraiment ennuyeuse. Je n’étais pas du tout décidé à changer et d’écouter le bon discours puritain de ces nonnes ou autre vierges du genre qui entouraient l’établissement et qui me faisait bien chier avec leur morale religieuse. Comment peut-on croire en Dieu dans un monde pareil ? Je me le demande. Je n’aime pas être ici, mais vu que je n’aie nul autre endroit où aller j’essaye de m’en contenter. Ne perdant pas pour autant mes vieilles habitudes de mettre ma main un peu partout. Les poches, les sacs, les valises, ou autre. Je ne perds pas une seconde pour m’enrichir. Essayant déjà de préparer mon évasion. Enfin j’essayais du moins. Je me suis déjà fait attraper par un prêtre en train de partir, j’ai beau essayer de le séduire pour qu’il me laisse partir, ça n’a pas marché.

J'ai donc bien compris que c’était beaucoup plus difficile de s’échapper de là que je ne le pensais. Et puis de toute façon, après l’avoir rencontré, lui, après avoir plongé dans son regard mystérieux, je ne suis plus certaine de vouloir m’enfuir.

Que m’arrive-t-il ?

Il m’obsède tellement à présent. S’en est presqu’insupportable ! Malgré sa froideur et sa nonchalance envers moi, j’ai tellement envie qu’il m’aime, j’en deviendrais presque folle ! A force de voler toute les choses autour de moi, j’ai peut être finit par être le dindon de la farce. Car moi aussi je sens que petit à petit je suis moi-même victime d’un vol. Je n’en peux plus ! Il est en train de me voler mon cœur ! Rend le moi Michel-ange ! Tu es pire qu’une drogue, que tous les objets du monde et que tout ce dont je suis capable de piquer aux autres. S’en est presque frustrant !